plus d’adeptes marocains. Internautes acharnés et cadres branchés, étudiants en soif de socialisation et e-journalistes revendicateurs d’une place au soleil seraient la microsociété de dernier cri, cyberethnie pour les plus accros. Tous l’affirment, 2004 fut l’année du blog au Maroc et 2005 ne devrait que le consacrer davantage. Drôle d’animal, diront de nombreux incrédules. A l’origine, une racine sémantique des plus subtiles… un web-log, en anglais, est un journal sur Internet : d’où le blog initial comme carnet de bord interactif et sans cesse actualisé, séduisant ses adeptes avec l’arme de la facilité – outils de langage et de mise à jour simplissimes. Selon les dernières mais capricieuses estimations, un nouveau blog serait créé toutes les 6 secondes.
Bavardage cathartique "Les blogueurs dévoilent leur besoin de s’exprimer, de partager", explique Rachid Jankari, responsable de la rubrique technologie du portail Menara et premier blogueur marocain. "Le phénomène est né à partir du 11 septembre 2001, comme si la surdose d’informations ne répondait pas à l’émotion, d’où la recherche d’un traitement alternatif". Perché en haut de la tour Technopark en périphérie de Casablanca, d’où l’on contemple les lumières de la ville sous un voile rose de pollution, l’ancien journaliste de L’Économiste a l’air et jovial et illuminé d’un pionnier convaincu. "Bon, au Maroc, ce monde est embryonnaire, nous ne sommes que quelques dizaines, peut-être une petite centaine de blogueurs", dit-il tout en espérant que la blogaTtitude ne tardera pas à gagner les 2 millions d’internautes marocains (qui ont accès à Internet) dont 100.000 abonnés. "Au départ, les blogs sont associés à un journal intime déversé sur le web, mais de plus en plus passent du blog nombriliste au partage de compétences, à une approche communautaire", poursuit Rachid Jankari. Certes, mais comme tout bon blogueur l’affirme, le propre du blog est la personnalisation à l’extrême. "Bloguer, c’est chercher à généraliser et à communiquer son ego assoiffé", avoue Tarik Saâdi, journaliste de e-Marrakech.info. "Je pense, j’écris et j’essaie d’exister le plus clairement possible dans mon blog (Al Jinane). C’est un système de vie sur la toile", poursuit le e-journaliste qui reste "blogué" près de 11 heures par jour.
Nouvel avenir de la liberté d’expression ? "On attend beaucoup des blogs marocains, confie Tarik Saâdi, notamment le déblocage de la situation sociale, au moins pour les jeunes connectés. C’est fini la hchouma, le tberguig, on n'a plus le droit de s’autocensurer. La jeunesse marocaine doit foncer dans la bonne exploitation de la liberté de la nouvelle ère. Bienvenue à la créativité. Ceci est un appel ouvert à tous mes compatriotes pour larguer les amarres sur la toile blog…". Évoquant l’Iran où 100.000 blogs en persan et en anglais donneraient du fil à retordre aux élites conservatrices ou le rôle, au Maghreb, des blogueurs tunisiens, le e-journaliste de Marrakech est convaincu que "le blog d’essence journalistique peut jouer le rôle de pression et de complémentarité auprès des élites politisées", rajoutant que pour être crédible, cette famille de blogs exige d’être menée par un ou des professionnels. "Cette année, des blogueurs d’autres horizons ont été accrédités comme journalistes, moi-même, au Maroc, j’ai ma carte de presse en tant que e-journaliste", revendique Rachid Jankari. Version politique, inspiré par les expériences américaine et française, le fondateur d’Alliance des libertés s’apprête à rendre public le blog de son parti. "Il aura pour but de créer et d’alimenter en permanence un débat de fonds sur les idées : la peine de mort, le cumul des mandats, la fiscalité… explique Ali Belhaj. Difficile d’avoir la parole dans les médias traditionnels, mais nous ne voulons pas être un cyberjournal de parti. Bien sûr ce n’est pas suffisant, compte tenu de l’analphabétisme, sans même parler de la fracture sociale… Mais c’est essentiel pour toucher les jeunes, disons les moins de 35 ans".
Des blogueurs encore sages Parmi les blogs mondialement connus, celui de l’Irakien SalamPax, déversant au quotidien les heures de l’occupation américaine à 20.000 visiteurs et celui du journaliste de la BBC, aujourd’hui décédé, décrivant la progression de son cancer jusqu’à sa mort récente. Pour l’heure néanmoins, point de réelle impertinence parmi les blogueurs du bled. "On n’y a pas encore vu ni de réel scoop, ni d’info venant contredire ou épingler d’éventuelles insuffisances ou erreurs des médias traditionnels", rappelle Rachid Issari, qui enseigne les NTIC à l’ISIC de Rabat, ancien Institut supérieur de journalisme. La plate-forme des blogs n’est pas encore assez développée ; ce n’est pas la télévision, le blogueur est anonyme et le "blogging" encore très personnel". "J’aime les blogs qui publient l’inattendu dans une société très statique, qui parlent de culture ou les blogs de nos compatriotes à l’étranger, poursuit Tarik Saâdi, ils donnent un bon exemple de blogging à la marocaine". A l’heure où le débat, sous d’autres cieux davantage connectés, oppose les détracteurs du "journalisme en pyjama" aux fans des "snipers de l’info" (selon Le Nouvel Observateur, des internautes spécialisés dans la contre-enquête et la critique des médias), les bloggers marocains montrent un manque d’excentricité qui siérait pourtant à leur jeunesse. C’est du bout des lèvres que, sur son blog où il raconte depuis plusieurs mois sa préparation à l’émigration vers le Québec, un jeune Marocain reconnaît, après plusieurs jours de jeûne, être exaspéré par le Ramadan, avant de dévoiler une photo de son nouveau-né. Du Canada également, une Marocaine blogue des photos inédites de la famille royale… A l’ouest, pour l’instant, rien de très nouveau. A quand le déblocage des blogueurs du bled ?
Le 17 février à l’Institut Supérieur de l'Information et de la Communication : deuxième Rencontre sur le phénomène des blogs. ISIC, Madinat al Irfane, Rabat |